par Karolina Tagaris

NICOSIE, 28 mars (Reuters) - Les banques chypriotes ont rouvert jeudi après douze jours de fermeture, mais l'onde de choc causée par leur fermeture et les conséquences du plan de sauvetage de l'île se font déjà ressentir.

La ruée redoutée vers les guichets ne s'est pas produite, en raison des mesures très strictes prises par le gouvernement pour éviter une fuite des capitaux après le plan de sauvetage draconien conclu le week-end dernier à Bruxelles. (voir )

Ainsi, toutes les transactions commerciales d'importance sont désormais examinées de près par la banque centrale. Les entreprises qui importent doivent fournir la preuve qu'elles ne cherchent pas à faire sortir des fonds de Chypre avant de pouvoir régler leurs fournisseurs. Les particuliers ne peuvent quitter le pays avec plus de 1.000 euros en poche.

Pour Christakis Petsas, un Chypriote grec qui approche la soixantaine et dont le père a fondé Petsas Rent-A-Car en 1963, le désastre se compte en nombre de voitures : 40 véhicules bloqués dans le port de Limassol, ce qui lui coûte 800 euros par jour. Cela représente 12.000 euros depuis la fermeture des banques chypriotes il y a près de deux semaines.

Le plan de sauvetage prévoit la taxation des comptes bancaires supérieurs à 100.000 euros et la fermeture de la deuxième banque du pays, la Cyprus Popular Bank, plus connue sous le nom de Laiki. L'établissement est l'un des principaux clients de Christakis Petsas.

Parmi ces mesures de contrôle des capitaux décidées par le gouvernement, figurent aussi l'interdiction de l'encaissement des chèques aux guichets et la limitation à 300 euros par jour des retraits en liquide à l'aide de cartes de crédit.

Les liquidités s'étaient d'ores et déjà taries avec la fermeture des banques et Christakis Petsas a dû payer ses 56 employés par chèques qu'ils ne pourront de toutes façons pas toucher compte tenu du contrôle des capitaux imposé par le gouvernement.

"PAS D'ARGENT"

Ce qui ne devrait pas les inciter à la dépense et à la consommation.

"La situation dans son ensemble a entraîné une réaction en chaîne dans l'économie", souligne Christakis Petsas.

Les importations se sont arrêtées depuis la fermeture des banques ainsi que les transferts bancaires et les fournisseurs ont exigé du cash. Dans la rue Ledra, principale voie piétonne de Nicosie, un restaurateur demande à ses clients de l'excuser de ne plus pouvoir mettre l'eau minérale pétillante sur sa carte. Les bouteilles sont bloquées en douane.

Haralambos Kaldelis, qui tient une boutique de vêtements à Nicosie, dit ne plus rien vendre. "Nous devons payer le loyer et il n'y a pas d'argent. Il faut payer la TVA et il n'y a pas d'argent. "Avant, les banques vous autorisaient le découvert, mais maintenant ?", s'interroge-t-il.

Le gouvernement a prévu de maintenir les mesures de contrôle de changes pendant un mois, mais certains économistes estiment qu'il est probable que ce régime dure plus longtemps, peut-être jusqu'à ce qu'apparaissent les premiers signes de reprise économique.

De nombreux étrangers, qui ont profité des avantages très importants offerts par le système bancaire chypriote, ont déjà voté avec leurs pieds. Les chiffres publiés par la banque centrale chypriote jeudi montrent que les épargnants d'autres pays utilisant l'euro ont retiré 18% sur leurs dépôts bancaires en février quand sont apparues les premières rumeurs sur la taxation des dépôts bancaires.

Les Chypriotes ne sont pas pour autant rassurés par le plan de sauvetage. Ils voient dans le système de contrôle des capitaux d'une part un frein à la reprise économique mais aussi l'émergence d'une zone euro à deux vitesses.

"J'attendais une hausse de mon chiffre d'affaires, peut-être de 5%, cette année avec les touristes, principalement des Russes", explique Christakis Petsas. "Mais ce qui se passe a mis à mal notre image et beaucoup vont y regarder à deux fois avant de venir", estime-t-il tout en refusant de céder au pessimisme total.

"Nous, les Chypriotes, sommes des survivants par nature", affirme-t-il. "Nous nous en sortirons." (Danielle Rouquié pour le service français, édité par Guy Kerivel)