Torm est une compagnie danoise de fret maritime fondée il y a un siècle et demi et spécialisée dans le transport d'hydrocarbures. Elle exploite 78 tankers (ou bateaux-citernes), modernes, équipés de scrubbers (dispositifs d’épuration, qui absorbent et neutralisent les particules toxiques ou corrosives) et tous détenus en propre.

Le premier attrait de la compagnie est son actionnaire de référence, le très réputé fonds spécialisé en distressed credit (dette décotée) Oaktree Capital de Howard Marks. En effet, Torm a fait faillite il y a dix ans puis a subi une longue restructuration entre 2012 et 2016. A l'issue de celle-ci, et de la conversion d'une partie de la dette en capitaux propres, Oaktree a pris possession des deux tiers du capital. Un point fort pour le groupe danois car l’actionnaire est compétent et concentré sur la création de valeur.

Les trois quarts de la flotte de Torm sont composés de tankers dits "Medium Range" avec 45 000-50 000 tonnes de port en lourd (ou TPL, pour chargement maximal), flexibles, pouvant être accueillis dans de nombreux ports et très utilisés dans le commerce atlantique. Les raffineries américaines qui exportent de l'essence utilisent typiquement des tankers "MR" pour servir leur clientèle en Europe (où il y a peu de ports en eaux profondes). Les tankers "Long Range" (entre 75 000 et 115 000 tonnes de port en lourd) sont eux davantage utilisés pour le transport de diesel, de naphte ou de carburant pour l'aviation, du Moyen-Orient vers l'Europe ou l'Asie.

(Copyright : TORM)

La compagnie bénéficie d'un momentum potentiellement porteur. La hausse du transport d'hydrocarbures entre l'Europe et ses fournisseurs du continent et du Moyen-Orient, depuis la mise à l'écart de la Russie et la neutralisation des pipelines en Europe de l'Est, devrait profiter au groupe. Miser sur Torm est un moyen de jouer le gel des relations diplomatiques et commerciales entre l'Europe et la Russie ! Cette dernière délivre toujours 30% des importations européennes d'hydrocarbures (contre 60% il y a un an) mais l'entrée en vigueur progressive des sanctions devrait compresser sa part à 0% d'ici février 2023. Un delta qu’il va falloir combler. 

Par ailleurs, la propension des économies les plus développées (Amérique du Nord, Europe, Australie et Japon) à fermer leurs raffineries, et donc à booster leurs importations, devrait jouer en la faveur de Torm à moyen terme. En face, les nouvelles capacités sont essentiellement en Arabie Saoudite, en Chine et au Nigeria. Dans tous les cas, l’occident européen va devoir importer ses hydrocarbures. 

Le quatrième point fort du groupe danois réside dans le retour des tarifs journaliers au-dessus de leur moyenne historique, après un hiver nucléaire de quinze ans dans le shipping, qui a provoqué quantité de banqueroutes et donc l'arrêt de nouvelles constructions et de mise à la mer de nouveaux bateaux. Les commandes de nouveaux navires sont à un plus bas historique, d'où un meilleur ajustement offre/demande et donc de meilleurs tarifs journaliers. Nuançons toutefois le tableau : si les nouvelles commandes sont au plus bas, on note que le "scrapping" (mise au rebut) de navires est lui dans sa moyenne, très loin de ses plus hauts. Il reste donc pas mal de capacités, il faut relativiser ce point. 

Le transporteur tire profit de la conjoncture géopolitique, mais cette situation favorable n’a pas échappé aux marchés puisque le prix de l'action a quadruplé sur l'année. 

 

Où ira le vent ?

Au niveau financier, si l’on observe les 5 derniers exercices fiscaux (2017-2021), c’est-à-dire depuis la fin de la restructuration, il y a peu de réjouissances. Le chiffre d’affaires a stagné et l’EBIT a été largement grignoté par le coût de l'endettement. Le profit comptable relève de la fiction car les investissements sont très supérieurs aux amortissements. Le groupe danois a brûlé 400 millions de dollars de cash sur cette période, dépense qu'il a dû combler par une augmentation de l'endettement d'un même montant, en sus d'une augmentation de capital de 100 millions de dollars. 

Pour tenter de rassurer les investisseurs, le management précise que le cycle d'investissement est terminé, et que la dette n’arrivera pas à maturité avant 2026. Traduisons : il n’y a plus de gros capex à prévoir, et les cash flows devraient vraisemblablement s’améliorer. 

Une interrogation demeure : combien de temps Oaktree va-t-il conserver sa position ? La société n’est pas une habituée de l’equity mais du crédit. Il y a fort à parier que la maison, qui a déjà pris ses bénéfices sur le groupe, se débarrasse de sa participation. Il faudra toutefois trouver un acquéreur stratégique pour vendre au plus haut, quand le secteur sera sur le haut de la vague… soit en ce moment ! 

Actuellement, la valeur d’entreprise est de 3,8 milliards de dollars pour un profit distribuable se situant entre 350 et 400 millions. Ça peut ne pas paraître excessif en apparence mais ces conditions exceptionnelles vont-elles durer ? La market cap est de 2,4 milliards de dollars, soit très au-dessus de la book value (valeur nette comptable). 

Si le groupe surfe sur un narratif clair (hausse des importations d’hydrocarbures, besoin croissant de tankers, fin des investissements) il semble un peu tard pour entrer sur la valeur. Il lui faudrait un nouveau catalyseur pour la pousser vers le haut, car les éléments porteurs - cités plus haut - ont déjà été intégrés dans le cours de bourse actuel. Et bien que les valeurs du shipping aient très largement surperformé pendant la pandémie, elles restent historiquement des investissements spéculatifs qui ont, dans le passé, surpris les investisseurs avec des naufrages soudains.