En vertu d'une nouvelle réglementation radicale annoncée par l'administration Biden le 7 octobre, les entreprises américaines doivent cesser de fournir aux fabricants de puces chinois des équipements permettant de produire des puces relativement avancées, à moins d'obtenir au préalable une licence. Ces mesures sont destinées à saper les efforts de la Chine pour développer sa propre industrie des puces. Le pays consomme plus des trois quarts des semi-conducteurs vendus dans le monde mais n'en produit que 15%, sur un marché évalué à 556 milliards de dollars en 2021.

"Le découplage technologique pourrait servir de moment Spoutnik à la Chine en matière d'innovation, la forçant à adopter une approche descendante et autonome, en particulier dans le domaine des semi-conducteurs", estiment les économistes de Citi dans une étude, en le comparant à la flambée des dépenses et de la recherche observée aux États-Unis après le lancement par l'Union soviétique du premier satellite au monde.

Bras de fer avec la Chine

Les restrictions arrivent également juste avant le prochain congrès du Parti communiste à Pékin, au cours duquel le président Xi Jinping devrait décrocher un troisième mandat. L'importance de l'autosuffisance technologique, déjà une priorité pour Xi au cours de la dernière décennie, fera probablement surface comme thème clé du Congrès de cette année.

Le Boston Consulting Group avait estimé en 2021 qu'un pays aurait besoin d'au moins 1 000 milliards de dollars d'investissements initiaux supplémentaires pour construire des chaînes d'approvisionnement locales de puces entièrement autosuffisantes. Les nouvelles restrictions vont probablement inciter les fabricants de puces chinois à essayer de produire des puces avancées en utilisant des solutions d'ingénierie créatives avec des technologies plus anciennes non soumises aux sanctions, selon les experts.

Créativité

Une stratégie que le principal fabricant de puces chinois, Semiconductor Manufacturing International (SMIC), a déjà commencé à mettre en œuvre. Fin 2020, Washington lui a interdit d'obtenir de la société néerlandaise ASML un outil avancé de fabrication de puces appelé machine EUV, qui est essentiel pour la fabrication de puces utilisant des nœuds de processus de 7 nanomètres. Si les sanctions visent à empêcher la SMIC de produire des puces avancées, certains analystes ont trouvé des signes indiquant que l'entreprise a néanmoins réussi à produire des puces de 7 nm en bidouillant des machines DUV plus simples qu'elle pouvait encore acheter librement auprès d'ASML.

Selon les experts, il est toutefois peu probable que de telles tentatives aboutissent à des produits commercialement viables pour une production de masse. "Vous pouvez modifier certains outils. Les gens sont créatifs. Mais quels seront les rendements ? Comment peuvent-ils atteindre des volumes commerciaux ? Voilà les questions qui se posent", déclare Marco Mezger, un consultant à Taïwan qui suit le secteur mondial des puces mémoire.

Selon les experts, les fabricants d'équipements chinois ont toujours quatre à cinq ans de retard sur leurs homologues étrangers, ce qui ne leur permet pas de se substituer instantanément aux équipements perdus des fournisseurs américains tels que KLA Corp, Applied Materials et Lam Research.

Deux autres grands fabricants chinois de puces susceptibles de subir un coup dur sont le fabricant de mémoires NAND Yangtze Memory Technologies (YMTC) et le fabricant de DRAM Changxin Memory Technologies Inc (CXMT). YMTC et CXMT sont toutes deux des entreprises soutenues par l'État et fondées il y a environ 10 ans. Elles représentent les meilleurs espoirs de la Chine pour percer sur le marché mondial, au coude à coude avec des acteurs de premier plan tels que Samsung Electronics et Micron Technology. Mais aucune des deux sociétés n'a atteint la production de masse à la pointe de la technologie, bien qu'elles aient fait des progrès.

Une réduction des débouchés pour les occidentaux

Les fabricants de machines internationaux risquent de faire face à de douloureuses réductions de leurs bénéfices, car les efforts de la Chine pour soutenir son industrie nationale des puces ont été une bénédiction pour nombre d'entre eux. KLA, Applied Materials et Lam Research tirent chacun environ 30% de leurs revenus de la Chine, qui est leur premier marché géographique et aussi celui qui connaît la croissance la plus rapide.

Applied Materials a déclaré mercredi que les restrictions à l'exportation vers la Chine entraîneraient une perte de 250 à 550 M$ de ventes nettes au cours du trimestre se terminant le 30 octobre, et qu'un impact similaire était attendu pour les trois mois suivants.

"Jusqu'à ce que nous voyions une fab de 10 milliards de dollars s'installer dans l'Ohio ou l'Oregon, je vois une grande inquiétude pour nos revenus l'année prochaine", a déclaré à Reuters une source d'une société d'équipement, faisant référence à la loi CHIPS qui prévoit des subventions de 52,7 milliards de dollars pour la production de puces et la recherche aux États-Unis. Des sources dans des entreprises d'outillage ont également déclaré qu'elles se démenaient pour se conformer aux nouvelles restrictions à l'exportation, certaines entreprises ayant ordonné une large interdiction d'approvisionnement pour éviter d'enfreindre les règles, qu'elles disent être ambiguës.

"Si nous suivons la lettre du projet de loi, les entreprises d'équipement pourraient devoir fermer leurs portes", a déclaré un vendeur d'équipement pour puces, qui a demandé à ne pas être identifié en raison de la sensibilité du sujet.

Washington fait également des pieds et des mains pour s'attaquer aux conséquences involontaires de ses nouvelles restrictions à l'exportation, selon des personnes au fait de la question.

Quelques heures avant l'entrée en vigueur de la nouvelle restriction, la société sud-coréenne SK Hynix a déclaré avoir obtenu l'autorisation des États-Unis de recevoir des marchandises pour ses installations de production de puces en Chine sans licence supplémentaire imposée par les nouvelles règles.